torsdag 13. juni 2024

A propos des Sequanes

Bien des linguistes et des philologues résistent mal à une fascination pour les sciences exactes qui les conduit à voir dans certaines constantes qui s'observent dans l'évolution de langues et de groupes de langues des lois comparables à celles de la physique.

Il m'est arrivé souvent de lire des articles ou des évolutions phonétiques étaient abordées comme s'il s'agissait d'équations mathématiques.

Je suis d'ailleurs surpris de certaines "reconstructions" de mots indo-européens qui aboutissent à des chaînes de sons imprononçables. Il est curieux que tant de linguistes perdent de vue qu'il est bien improbable qu'il ait jamais existé langues aussi difficiles à articuler que celles qu'ils croient ainsi "reconstruire".

Quoi qu'il en soit, il est vrai que, au sein des langues indo-européennes, le celtique a une nette tendance à "perdre" le son "P" dans les mots indo-européens qui le comportaient probablement. 

C'est ainsi que le mot irlandais "athair" nous devient plus familier si on lui restitue un "P" initial, "pathair*" qui montre sa parenté avec le "pater" latin, le père.

De même "iasc", le poisson, si l'on suppose un "piasc*" qui rappelle davantage le "piscis" latin.

Toutefois, le celtique continental est riche en "P" parce qu'il a très souvent substitué ce son à un "Qw" originel. C'est ainsi que le "pemp" du breton n'est pas si différent du "quinque" latin.

Mais, encore une fois, il faut résister à la tentation de croire que des "lois" phonétiques s'appliqueraient absolument à l'intérieur de groupes de langues. Le langage humain et l'humain tout court sont beaucoup trop complexes pour qu'il en soit ainsi.

Et c'est ce à quoi devrait nous inviter le nom des "Sequanes". Pour les linguistes qui s'aheurtent à croire en des lois phonétiques absolues, il est clair que les "Sequanes" auraient dû s'appeler "Sepanes", en conformité avec les évolutions phonétiques qui s'observent en celtique continental.

Or, les Sequanes vivaient au milieu de la Gaule celtique et non pas à sa périphérie.

Il est impossible de trancher sur ce qui peut expliquer la subsistance d'un son "Qw" à date historique dans le nom d'une tribu dont rien n'indique qu'elle fût allophone des tribus qui l'entouraient.

Je relève juste que, si le latin conserva ce son "Qw", pratiquement toutes les langues italiques qui nous sont (très partiellement) connues, l'avaient remplacé par un "P", exactement comme ce que nous observons dans les inscriptions gauloises qui nous sont parvenues. 

Au "quae" du latin correspond "pai" en osque. On croit lire "pettiur" dans une inscription osque où il paraît correspondre au "quatuor" latin, quatre. En ombrien, "puntes" est compris comme "un groupe de cinq", à rapprocher du "quinque" latin.

Si, en Italie, avait pu subsister, initialement au milieu de la petite plaine du Latium, la langue d'une cité conservant l'antique son "Qw", alors qu'il était vraisemblablement devenu "P" partout ailleurs, l'explication la plus simple est qu'il en allait de même des Sequanes au milieu d'autres tribus celtiques, d'autant plus qu'ils vivaient non pas en plaine mais dans des régions du Jura et de l'est de la France actuelle plus propices à un relatif isolement linguistique.

fredag 15. november 2019

Tout est famille


Mon propos pourra sembler décousu mais tout tourne autour de la famille.

Mon intérêt pour les langues est si parallèle à la généalogie que je ne me souviens plus lequel a paru le premier. J’ai été enfant à une époque où le ressentiment contre les Allemands, et même la franche haine, étaient partout, dans les films qui passaient à la télévision comme dans les conversations du troquet de la gare. Or, le père de mon arrière-grand-mère luxembourgeoise était né à une bonne trentaine de kilomètres en aval de Trèves. Aux abords de Noël, ma grand-mère mettait sur l’électrophone un 33 tours de chants traditionnels allemands. Je ne pouvais ignorer qu’une partie de la vie qui coulait en moi était venue de rigoles allemandes. Je prenais avidement des notes quand ma marraine, la sœur de mon arrière-grand-mère, se laissait aller à parler de son enfance et de sa jeunesse entre Luxembourg, Nancy et Trèves, s’affranchissant des frontières bien avant l’Union européenne. Si l’allemand fut, évidemment, la première langue « étrangère » que j’appris au collège, c’est de ma marraine, puis de parents du Gutland, que j’appris le luxembourgeois, à une époque où il n’y avait presque rien qui le facilitât.

Je n’avais par contre pas connu mon arrière-grand-père mais je savais qu’il avait eu le breton pour langue maternelle, une langue alors fort méprisée. Il me suffit de repenser aux chansons comiques de l’époque, de « ils ont des chapeaux ronds » au groupe comique « Les Charlots ». Je me mis au breton plus tard. C’était plus difficile que le luxembourgeois en l’absence d’un environnement vivant de cette langue.

Mais la découverte progressive de convergences entre les trois langues, malgré leur grande dissemblance au premier abord, incarna l’unité de l’Europe, l’unité des miens et, au final, la mienne. Le sang et la haine, la morgue et l’arrogance, scandaleux en soi, le devenaient plus encore quand se dévoilait la parenté profonde, multimillénaire, de tous ces idiomes. La généalogie des hommes, la généalogie des langues, c’est tout un.

Uxor. Voilà bien un mot que j’avais eu le plus grand mal à retenir au collège. Mais quand j’appris qu’il devait se decomposer en UK + SOR, c’est à dire la racine de mots tels que joindre, joug ou yoga, quel horizon s’ouvrit à moi et que j’aime à penser que mon épouse est une sœur que je me suis joint !

Les autres sont mes sorores, sans doute SUO + SOR. Suo est peut-être le réfléchi, la propre sœur par opposition à la sœur conjointe en mariage. Le fils est (Η)YΙΟΣ en grec ancien. Vu l’histoire phonétique de la langue, sans doute issu de suios, peut-être swios. Y aurait-il aussi le réfléchi à la racine, le sien comme on dit les miens de ses parents ? Serait-ce sous-jacent dans le sunus lituanien, universellement retrouvé sous une forme amuïe en slave et en germanique ?

Il est vain de nier que la plupart des langues parlées aujourd’hui en Europe procèdent d’un idiome originel à partir duquel elles ont divergé, non sans se colorer ici ou là d’autres langues rencontrées en chemin. Mais la langue mère, forcément, a été elle aussi une langue fille ayant sans doute des langues sœurs, des langues cousines. Il y a eu une grand-mère et une arrière-grand-mère et …

Mais c’est vertigineusement loin de nous et, de même que la plupart d’entre nous ne peuvent pas identifier nominativement leurs (extrêmement nombreux) ancêtres ayant vécu au Xème siècle, nous n’osons même pas avancer des conjectures.

Ce que nous percevons comme des désinences, des systèmes flexionnels élaborés, se révélerait peut-être bien comme des postpositions voire des mots autonomes. La complexité ultérieure apparaîtrait comme le brouillage d’un système plus simple dont les éléments n’avaient plus été compris.

Je suis décontenancé quand je lis certaines contributions de linguistes. J’ai l’impression que beaucoup abordent la phonétique des langues comme si elle pouvait se réduire systématiquement à des équations, à l’imitation de la chimie et de la physique. Je crois plutôt que c’est l’analogie qui, progressivement et inégalement, a raison des singularités.

Père se dit AB en arabe et en hébreu antique. ABBA hébreu correspond à papa. Les Berbères disent BABA ou VAVA. Est-ce une simple coïncidence que le terme enfantin indo-européen le plus répandu soit aussi constitué d’une occlusive labiale ?

Je pourrais bien imaginer que l’on est en présence d’un reste de langue aïeule. Quand la branche qui allait devenir l’indo-européen a accouché d’un système flexionnel, elle a eu besoin d’ajouter au PA / BA quasi universel un élément qui lui permettait d’accrocher des désinences. Pour communiquer avec le bébé, papa suffisait. Mais, avec les adultes, il fallait pouvoir nuancer des accusatifs, des génitifs ou des ablatifs. En revanche, le mot était et reste l’un des premiers que l’on apprend à un bébé et, évidemment, on se limite à une occlusive et une voyelle. Je veux dire par là que les alternances que l’on observe par exemple en grec ancien entre le nominatif, le vocatif et le génitif résultent de l’analogie. Mais il n’y a certainement jamais eu de laryngale à la finale de la racine. Quel père et quelle mère apprennent à parler sur cette terre à leur bébé en commençant avec les laryngales ?!!

La même réflexion vaut pour mater / matir. On a la sonante nasale que l’on retrouve en arabe, en hébreu et en berbère ainsi que chez la mama des Européens. Le suffixe a été ajouté ultérieurement pour intégrer le mot du vocabulaire primitif au système élaboré de déclinaison.

Et le frère ? Il est bien possible que le mot ait pour racine celle qui signifie « porter » dans les langues indo-européennes, le frère étant alors perçu comme celui qui a été porté par la même mère. Il pourrait avoir reçu le même suffixe que celui du père et de la mère du fait que celui-ci avait été senti de ce fait comme caractérisant les relations familiales.

Il est passé aussi à la fille, peut-être à partir de la racine signifiant conduire, puis éduquer.

lørdag 17. februar 2018

Remonter le temps avec le finnois

Remonter le temps avec le FINNOIS
(réflexions à partir des travaux de Jorma Koivulehto, notamment)


Le finnois est une langue parlée au nord-est de l'Europe, au nord du golfe de Finlande, par environ 5 millions de personnes. L'estonien est la langue nationale qui lui est le plus étroitement apparentée. Jadis, il y avait un continuum entre les deux langues par l'est du golfe de Finlande. Mais, à partir du XVIIIème siècle, plus précisément du traité de Nystad qui marque l'abaissement de la prédominance du Royaume de Suède sur la mer baltique et l'irruption de de la Russie, les petits peuples qui avaient traditionnellement vécu dans la région furent submergés, voire expulsés, et leurs langues disparurent les unes après les autres. Ce fut principalement le cas de l'ingrien qui était parlé de la frontière orientale de l'Estonie au lac Ladoga et qui s'éteignit du fait de la russification inexorable à partir de Saint-Petersbourg. Un autre recul considérable intervint en 1944, lorsque les Caréliens préférèrent quitter leur région plutôt que de passer aux ténèbres de l'Union soviétique. Il reste encore quelques îlots, comme le vepse et le vote, mais toutes les conditions sont réunies pour que le russe les engloutisse.
 
Ce groupe de langues forme manifestement une famille que les linguistes réunissent en une plus grande famille qui rassemble les différents dialectes lapons (ou sames), des langues parlées dans le nord de la Russie et le hongrois.

Les présentations étant ainsi faites, j'en viens à l'objet de mon propos. Le finnois, langue linguistiquement et géographiquement isolée dans les confins nord-est du continent, a une propriété remarquable de conservation qui mérite bien d'être connue et qui en fait une sorte de machine à remonter dans le passé linguistique de l'Europe.

KUNINGAS

C'est ainsi que l'on dit "roi" en finnois.

Nul n'ignore que roi se dit en anglais "king". Ce mot conserve la première, la quatrième, la cinquième et la sixième lettres du mot équivalent en finnois. Le mot allemand est "König". Le mot néerlandais, un petit plus archaïque est "koning". Il ressemble beaucoup au mot finnois, la terminaison en moins. Le mot suédois "konung" est au même niveau. 

La forme la plus archaïque existant actuellement dans une langue germanique se trouve en islandais "konungur", soit la forme du suédois avec une terminaison casuelle.

Les plus anciennes inscriptions "germaniques", des textes courts gravés sur des pierres ou sur des objets, remontent au troisième siècle. La désinence du nominatif singulier de la déclinaison thématique (l'équivalent de la deuxième déclinaison du latin et du grec) y apparaît - ar. Toutefois, dans la branche germanique orientale, le gothique dans lequel subsiste une traduction du nouveau testament, la désinence est - as, comme elle l'est d'ailleurs en lithuanien et en sanskrit.

Le finnois "kuningas" se présente donc sous une forme encore plus archaïque que les plus anciennes inscriptions germaniques qui sont parvenues jusqu'à nous, gothique mis à part.

LAMMAS

Mais remontons encore plus loin dans le temps avec le mot désignant le mouton, "lammas". 

On reconnaît sans peine le "lamb" de l'anglais (et de l'islandais) et le "Lamm" de l'allemand. Mais, le fait qu'il arbore en finnois une désinence de nominatif en - as est une grande surprise car ce substantif est neutre dans toutes les langues germaniques qui distinguent encore les genres.

Or, la particularité du neutre dans les langues indo-européennes anciennes, c'est qu'il avait toujours au nominatif la forme de l'accusatif. Cela s'explique très probablement par le fait que, à l'origine, les noms neutres ne pouvaient désigner que des objets d'actions. Ils ne pouvaient être envisagés comme des sujets d'actions et c'est la raison pour laquelle ils n'avaient tout simplement pas de nominatif.

Mais "lammas" nous projette dans un passé lointain, sans doute antérieur à l'ère chrétienne, où le mot ne désignait pas encore l'agneau incapable d'une volonté propre mais l'ovin adulte.

KAURA et KANA

Une particularité des langues germaniques par rapport à la plupart des autres branches de la famille indo-européenne est que les consonnes occlusives semblent y avoir uniformément subi une transformation que l'on appelle première mutation germanique et dont on suppose qu'elle a dû survenir au plus tard un peu avant le début de l'ère chrétienne. 

C'est à cause de cela que des mots qui commencent par le son "K" dans d'autres langues commencent par "H" dans les langues germaniques. Mais il existe une dizaine d'autres correspondances. On peut ainsi comparer le français "corne" et l'anglais "horn", le néerlandais "hond" et l'italien "cane", l'anglais "to", le polonais "do" et le breton"da", ou encore l'anglais "cold" au français "gel", l'anglais "foot" et le français "pied", etc ...

Le mot "kaura" désigne en finnois l'avoine. Le mot suédois est "havre" que l'on peut rapprocher de l'allemand "Hafer".

Comme le finnois dispose bien de phonèmes distincts "K" et "H" comme le montrent des mots aussi courants que "hyvä" ou "helppo", on peut bien supposer que "kaura" ait été emprunté au germanique avant qu'il ait été affecté par la mutation consonantique !

Et le mot "kana", la poule, tend bien à le confirmer. On peut le rapprocher du mot danois "hane" désignant le coq, comme le néerlandais "haan" et l'allemand "Hahn".

Or, qu'est-ce qui est si caractéristique du coq ? Eh bien, c'est qu'il chante sa joie de vivre tous les matins, dès qu'il voit le soleil se lever. Or, chanter se dit "kanan" (avec n tilde) en breton et se disait "canere" en latin (cantare en était un dérivé intensif).

KASKI, KALPEA et KESÄ 

Mais le finnois peut nous emmener vertigineusement plus loin dans le passé.

A la fin du XIXème siècle, le linguiste Ferdinand de Saussure avait émis l'hypothèse que certaines alternances vocaliques énigmatiques qui s'observaient dans des langues anciennes telles que le grec et le sanskrit, pourraient s'expliquer par trois sortes de "coefficients" linguistiques différents qui auraient existé en indo-européen. Le linguiste danois Møller suggéra qu'il devait s'agir de consonnes laryngales, comme en arabe et en hébreu ancien, qui auraient disparu dans les langues issues de l'indo-européen originel.

L'hypothèse fut d'abord plutôt raillée comme fantaisiste jusqu'à ce que, au début du XXème siècle, soient déchiffrées des inscriptions cunéiformes en hittite, la langue indo-européenne la plus anciennement attestée à ce jour. Or, en effet, dans certains cas où les travaux de de Saussure et Møller avaient postulé la disparition de laryngales, le hittite présentait bien un caractère spécial. On peut citer par exemple le mot "*ant-" où apparaît bien, à l'initiale, un phonème disparu dans le grec "anti" et le latin "ante".

On a donc supposé que, dans des textes qui remontent au XVIIIème siècle avant l'ère chrétienne, le hittite avait gardé l'une des trois laryngales de l'indo-européen originel, tandis que le sanskrit, l'avestique ou le grec antique les avaient toutes perdues.

Alors, voici que le finnois présente lui, certes non pas des laryngales, mais des occlusives à l'initiale de mots qui paraissent correspondre à des racines commençant par des voyelles dans des langues indo-européennes.

"Kaski" désigne un essart que l'on a obtenu en brûlant la végétation. La ressemblance avec le suédois "aska" est saisissante (ou l'anglais "ash" et l'allemand "Asche"). On doit alors supposer que le finnois a reçu ce mot à une époque où il avait encore la laryngale et l'a convertie ensuite en occlusive sourde. Cela pourrait donc remonter au troisième millénaire avant Jésus-Christ !

Et "kalpea", pâle, si on lui retire son "K", se met à ressembler à "albus/alba" latin, blanc, qui a donné au français des mots tels qu'aube ou albumine.

"Kesä", l'été, pareillement démuni de son "K", se met à ressembler au mot qui désigne l'automne dans beaucoup de langues slaves, par exemple "jesień" en polonais ou "esen" en bulgare. Par rhotacisme, "kesä" pourrait aussi être apparenté au mot signifiant "an" dans les langues germaniques, comme le scandinave "år" (anglais "year" et allemand "Jahr").

TEHDÄ et TUOTAA

"Tehdä" est un verbe du vocabulaire fondamental qui signifie "faire". Or, on trouve une racine équivalente dans beaucoup de langues indo-européennes. Altéré par la première mutation consonantique, c'est l'un des verbes "faire" des langues germaniques occidentales, comme l'anglais "to do" et le néerlandais "doen" mais allemand "tun". Toutefois, on le trouve aussi avec le sens de "mettre" en grec: "tithêmi", un présent à redoublement, dont vient le mot "thèse". On a pareillement "dadhami" en sanskrit. Confondue avec la racine du verbe signifiant "donner", la même racine subsiste en latin dans des composés tels que "condire", "fonder". On trouve aussi la racine "tit-" dans le sens de "poser" en hittite.

Quant à "tuotaa" que l'on traduit par "produire", il est proche de sens et de forme de la racine qui signifie "donner" dans moult langues indo-européennes. On pense à "dare" en latin, "dát" en tchèque, "duoti" en lithuanien,etc.

Ces faits sont extrêmement troublants. Une langue peut emprunter des quantités très importantes de vocabulaire à une autre mais elle conserve normalement les termes de son vocabulaire fondamental. Ainsi, l'anglais a énormément emprunté à l'anglo-normand importé dans l'île par Guillaume le conquérant et son armée mais il a conservé un vocabulaire fondamental germanique "to do", "to give", "water". Il en va de même du maltais ou de l'albanais. Quant au français, on voit bien qu'il est une langue romane et non pas une langue celtique submergée par le latin au fait que son vocabulaire fondamental est latin, "faire" comme le latin "facere" en regard du breton "ober / a ran / gran" (à rapprocher du scandinave "gøre / göra"), "donner" comme le latin "dare / donare" en regard du breton "rein" et du gallois "roi", "aigue / eau" venu du latin "aqua" en regard du breton "dour" et du gallois "dŵr".

Or, à "tehdä" correspond "tenni" en hongrois. Il s'agit donc bien de la même racine.

Quant à l'eau "vesi", le mot se décline à certains cas obliques sur une racine "ved-" (cf. veden) qui rappelle beaucoup la racine équivalente slave (tchèque "voda", polonais "woda") et, de là, le germanique occidental ("water" anglais et néerlandais", "Wasser" allemand), le hittite ("watar") ou le grec ("hydor" issu de "*wydor"). Or, le hongrois "víz" a lui aussi la même racine.

Cela étant, pour déterminer l'appartenance d'une langue à une certaine famille de langues, on ne peut pas prendre en considération seulement son vocabulaire fondamental, il faut aussi s'interroger sur l'existence ou non d'analogies de structure.

LA CONJUGAISON

La conjugaison, telle que nous l'assimilons dès l'école primaire, est probablement une illusion d'optique. Si l'on prend la séquence "cano, canis, canit, canimus, canitis, canunt" du verbe latin signifiant "chanter", on se rend compte que, ni la première personne du singulier, ni la troisième personne du pluriel n'ont la même voyelle désinentielle que les autres formes. En ce qui concerne la troisième personne du pluriel, il s'agit en fait d'une forme dérivée du participe présent. Les ancêtres des latins pensaient donc "they singing" et pas "they sing". Or, il en est ainsi dans pratiquement toutes les langues indo-européennes, sauf notamment dans les langues baltes qui n'ont justement qu'une seule forme de troisième personne (lithuanien "pouvoir": 1ère personne: moku / mokame, 2ème personne: moki / mokate, 3ème personne "moko").  

Si l'on observe les langues indo-européennes très anciennes, on a l'impression que conjuguer consiste à ajouter des sortes de suffixes pronominaux à la racine. Prenons le verbe "faire" en sanskrit, il donne au présent karomi, karosi, karoti, kurmah, kurutha, kurvanti. La troisième personne du pluriel dérive bien du participe présent "kurvant". Si l'on observe "karomi", on imagine que, à l'origine, il avait dû s'agir de "faire-moi". Le "- ti" de "karoti" fait penser au démonstratif omniprésent dans les langues indo-européennes, par exemple "ten / ta / to" en polonais, ou, en composition "iste / ista / istud" du latin, en passant par l'article en germanique "der / die / das" allemand, "den / det" scandinave ou en grec (accusatif "ton / tên / to"). On imagine aussi que "- mah" pourrait avoir été un pluriel de "mi" que rappelle "- mus" en latin et de même "- tha" un pluriel du pronom "tu" que rappelle "-tis" en latin.

Or, qu'en est-il de la conjugaison finnoise ? Si l'on prend le verbe "dire", on a "sanon, sanot, sanoo, sanomme, sanotte, sanovat".

Fait tout à fait remarquable, la troisième personne du pluriel y est aussi dérivée du participe présent "sanova", exactement comme dans la plupart des langues indo-européennes. On peut aussi supposer qu'il y a un rapport de singulier à pluriel entre les terminaisons "- n" et "- mme" ("n" est couramment une forme amuïe de "m". Il suffit de comparer les désinences d'accusatif singulier du latin à celles du grec et du gaulois) ainsi qu'entre  "- t" et "- tte". Or, en ce cas, même la désinence du singulier rappelle le pronom personnel indo-européen "tu". 

Manifestement, du côté du verbe, le finnois a des structures très semblables, tant dans la forme que dans l'esprit, à ce que l'on connaît de l'indo-européen.

Et le hongrois ? Il a la particularité d'avoir deux conjugaisons, selon qu'un objet déterminé suit ou non le verbe. Il s'ensuit qu'il y a une double série de désinences. Si l'on reprend le verbe "tenni", la conjugaison donne au singulier "teszek / teszem, teszel / teszed, tesz / teszi" et au pluriel "teszünk / tesszük, tesztek / teszitek, tesznek / teszik". Au singulier, les désinences de la conjugaison objective "- m" et "- d" rappellent bien celles du finnois "- n" et "- t", et, partant, celles de l'indo-européen. Mais, les autres formes paraissent dérivées de la troisième personne du singulier. "teszik" paraît être le pluriel grammatical de "teszi" puisqu'il est marqué en hongrois par "- k". Il en va de même de "teszitek = teszi+ tek". Donc, ce sont plutôt les désinences de la conjugaison subjective qui retiennent l'attention au pluriel car "teszünk" peut s'analyser comme la désinence " - m", amuïe en "- n", marquée par le pluriel "- k". De même, on peut voir dans "tesztek" la désinence "- t", amuïe en "- d" au singulier, marquée du pluriel "- k". Quant à la troisième personne du pluriel, il semble bien que, au lieu du participe, le hongrois ait recours à un pluriel tiré de l'infinitif "- ni / - nek". Donc, avec un matériel différencié de celui du finnois, la logique reste fondamentalement la même.

Mais ces réflexions à partir du seul indicatif présent suffisent-elles ?

Juqu'à la moitié du XXème siècle, les linguistes spécialistes de l'indo-européen reconstituait l'histoire de l'idiome originel comme une simplification graduelle d'une langue extrêmement riche en formes flexionnelles comme le sanskrit à une langue qui en est presque complètement dépourvue comme l'anglais moderne. Pour eux, il était évident que la langue originelle avait eu une flexion à au moins 8 cas, et une conjugaison à deux voix comportant un grand nombre de modes, l'optatif et le subjonctif en sus de l'indicatif et de l'impératif, avec des imparfaits et des aoristes à augment ainsi que des parfaits à redoublement. Las, rien de tout cela dans le hittite déchiffré à partir du début du XXème siècle. Le hittite présente un système verbal aussi simple que celui du germanique et du baltique. De plus, les désinences qui caractérisent le parfait dans des langues tels que le latin et le grec ne s'appliquent qu'à certains verbes qui n'utilisent pas les désinences habituelles des autres verbes au présent. Il ne s'agit donc que d'un autre groupe de conjugaison au présent, pas d'un autre aspect / temps.

On peut donc envisager que la grande richesse flexionnelle du grec et de l'indo-aryen ait été une commune innovation et non pas un héritage de l'indo-européen originel. Si l'on accepte cette prémisse, la structure du finnois devient aussi très proche de ce qu'on peut supposer qu'elle était à partir du celtique, du germanique et du baltique.

LA DECLINAISON

Reste alors la déclinaison car, pour des locuteurs de langues indo-européennes, c'est bien elle qui donne l'impression de pénétrer dans un monde linguistique très différent.

Soit le mot "talo", "maison". Il peut, théoriquement, se décliner ainsi: "talon, taloa, taloksi, talona, taloon, talossa, talosta, talolle, talolla, talolta et talotta".

On remarque que, sitôt qu'il y a éloignement, la désinence comporte un élément "- ta" qui, à l'origine, était la désinence du partitif mais qui s'est amuïe. Ainsi, "talosta" doit se comprendre comme "talos + - ta", "talolta" comme "talol + - ta" et "talotta" comme "talot + -ta". Existe-t-il un équivalent indo-européen ?

Eh bien, oui ! La désinence de l'ablatif de la déclinaison thématique est "- t" en sanskrit. Elle était "- d" dans le latin archaïque des inscriptions de l'époque républicaine. Quant au hittite, il avait une affriquée "- ts" notée "- z". On peut aussi rapprocher de la désinence "- then" du grec archaïque comme dans "oikothen", "de la maison", où "Athênêthen", "d'Athènes". Ou bien encore du suffixe, du préfixe et même de la préposition "de" en latin comme dans "unde" ou "inde".

Quant à "talolla" et "talossa", ils sont très certainement issus de "talol + - na" et "talos + -na". Existe-t-il en indo-européen une désinence équivalente caractérisant le lieu où l'on est, sans déplacement ?

Oui. On la trouve notamment dans la déclinaison des pronoms, par exemple les formes de datif et de locatif singulier du démonstratif en slave (polonais "temu / tym") qu'on retrouve dans le datif de l'article allemand (vieil allemand "demo", aujourd'hui "dem").

Quant à l'illatif "taloon", on pense à l'accusatif qui, dans les langues indo-européennes antiques, avait une nasale "- m / - n" comme désinence caractéristique.

Donc, y compris du point de vue de la flexion nominale, le finnois n'est pas si fondamentalement différent de l'indo-européen dans sa structure qu'il y paraît au premier coup d'oeil. A partir d'un matériel de base dont on perçoit encore les analogies, il a développé un système ayant désormais une logique différente.

Le hongrois a suivi la même logique. A partir de la désinence de base "ul / ül", il a surcomposé des désinences spatiales qui donnent des précisions à la notion d'éloignement dans lesquelles les langues indo-européennes n'entrent pas "- ból / - böl (long)", "- ról / - röl (long)", "- tól / - töl (long)". Il en va de même pour "- ba / - be" par rapport à "- ra / -re". Quant à "- ban / - ben", il dérive du superessif "- en / - ön / - on", lequel correspond probablement au "- na / - nä" du finnois.

CONCLUSION

Les différents faits qui ont été mentionnés conduisent à penser que, à une époque très lointaine, un peuple qui parlait une langue appartenant à la nébuleuse indo-européenne par son vocabulaire de base et ses structures s'en est détaché puis, à mesure qu'il progressait vers le nord de l'Europe, a vécu en symbiose avec d'autres peuples auxquels il a emprunté un vocabulaire important, non indo-européen. Sans doute les ancêtres indo-européens des Finlandais n'avaient-ils pas rencontré les mêmes peuples et langues que les ancêtres des Hongrois, ce qui serait une explication simple aux grandes différences de vocabulaire et de morphologie existant par ailleurs entre les deux langues.

L'hypothèse paraît si solide que l'on se demande pourquoi la linguistique est si réticente à accepter l'origine partiellement commune des langues indo-européennes et finno-ougriennes. C'est, probablement, parce qu'elle n'a pas intégré les enseignements à tirer du hittite et qu'elle continue à croire, à rêver, à une langue indo-européenne originelle morphologiquement très complexe. Or, il faut se représenter les conditions dans lesquels nos lointains ancêtres vivaient dans les steppes d'Europe orientale au cinquième, au sixième millénaires avant l'ère chrétienne, voire auparavant. Est-il vraisemblable que leurs conditions de vie économiques, sociales, aient été propices à subtiliser leur pensée au point de distinguer un indicatif d'un subjonctif et d'un optatif, lesquels auraient eux-mêmes envisagé chaque action comme continue (présent), achevée (parfait) ou indéterminée (aoriste) ? Poser la question revient à y répondre. On comprend que des philosophes grecs et des brahmanes indiens, policés, réfléchis aient eu besoin de grandes nuances pour préciser leurs pensées. Il est moins probable que cela ait été le cas de leurs lointains prédécesseurs préhistoriques. A cet égard, la simplicité du finnois prouve plutôt son authentique archaïsme, comme le hittite.

APPENDICE

Il est clair que des mots tels que kuningas ou lammas ont été empruntés par le finnois car la terminaison n'est pas signifiante dans cette langue alors qu'elle l'était encore dans le germanique archaïque.

Mais, dans beaucoup d'autres cas, il est difficile de déterminer si un mot vient d'un très lointain fond commun au finnois et aux langues indo-européennes reconnues comme telles ou s'il s'agit aussi d'emprunts anciens.

Voici une liste de mots pour lesquels un lien indo-européen quelconque est possible: 

ankea (triste, sombre ; français "angoisse", luxembourgeois "enk", suédois "ångest", allemand "Angst")

ajaa (chasser ; français "agir", suédois "åka")

ankerias (anguille ; français)

arpa (sort, lot ; suédois "arv", allemand "Erbe")

asia (affaire ; suédois "ärende")

autio (désert ; suédois "öde")

hakea (aller chercher ; suédois "söka", anglais "seek", allemand "suchen", polonais "szukac (c mouillé)". L'amuïssement d'un "s-" initial en "h-" est linguistiquement fréquent. Latin "super" / grec "hyper", français "sente", anglais "send", breton "hent").

halla (gelée ; suédois "hal")

hammas (dent ; anglais "comb", allemand "Kamm")

heinä (foin ; anglais "hay", allemand "Heu")

herne (pois ; suédois "kärna", anglais "corn", allemand "Kern").

hylje (phoque ; suédois "säl")

kavio (sabot ; suédois "hov", allemand "Huf")

kelvata (convenir ; anglais "help", allemand "helfen", breton "harpañ")

keltainen (jaune ; anglais "gold", suédois "guld", polonais "żółty", lithuanien "geltonas")

kulkea (marcher, circuler, rouler ; suédois "hjul", anglais "wheel", grec "kyklos", français "cycle")

kylmä (froid ; suédois "köld / kall", anglais "cold", allemand "kalt", français "gel")

mahtaa (pouvoir ; allemand "mögen / Macht", anglais "may", suédois "må / makt", polonais "moc")


mato (ver ; allemand "Made")

melto- (doux ; germanique "mild")

moni (beaucoup ; allemand "manch", anglais "many", suédois "många")

napa (nombril ; allemand "Nabel", suédois "nav")

nauttia (prendre, jouir de ; suédois "njuta", allemand "geniessen")

neula (aiguille ; suédois "nål", allemand "Nagel", anglais "nail")


nimi (nom ; suédois "namn", anglais et allemand, "Name", italien "nome")

onki (gaule ; allemand "Angel")

pullea (replet ; anglais, suédois "full", français "plein")

punoa (tresser ; suédois "spinna", anglais "spin", allemand "spinnen")

puska (buisson ; suédois "buske", anglais "bush", allemand "Busch", français "bois / buisson")

ranta (côte ; germanique "strand")

rauta et ruoste (fer et rouille ; anglais "rust", suédois / allemand "Rost")

ruhtinas (prince ; suédois "drottning")

ruoho (herbe ; anglais "grow", néerlandais "groeien", suédois "gro")

santa (sable ; germanique "sand")

suuri (grand ; scandinave "stor", lithuanien "storas", polonais "stary")

taivas (ciel ; latin "dies / deus / dives", français "Dieu / divin", gallois "dyw", breton "deiz / devezh")

etc ...


 





 

 

søndag 28. februar 2016

La disparition du gaulois

La disparition du gaulois
Jadis, dans la vieille école aux murs de meulières qu'ombrageaient avec bienveillance les quatre tilleuls de la cour, imprégné du parfum suave de la colle blanche et de l'odeur de l'encre noire qui tachait mes mains malhabiles, je contemplais cette grande image dont l'institutrice avait recouvert le tableau pour illustrer notre leçon d'histoire.
A terre, un homme à la longue chevelure déposait des armes dans un geste d'ostensible soumission aux pieds de soldats glabres montés à cheval. Ainsi prenait fin l'existence libre de nos ancêtres par la reddition de ce Vercingetorix au nom bien compliqué, tandis que le généreux vainqueur faisait entrer la nation gauloise dans la lumière d'un progrès jalonné de voies empierrées et d'aqueducs, de thermes et de stades.
En peu de temps, de frustes buveurs de cervoise étaient devenus des patriciens gallo-romains menant une existence paisible et cossue dans de somptueuses villas. Ils avaient adopté sans grand effort la langue de Rome, si proche de leur propre idiome que celui-ci aurait bien pu passer pour n'en avoir été qu'un dialecte.
C'est ce que je crus sans difficulté comme tous mes petits camarades sagement vêtus de leurs sobres blouses de toile. 
 
Les années passèrent et la belle image aux couleurs vives demeura enfouie dans les tréfonds de ma jeune mémoire. Je devins un collégien rompu aux cinq déclinaisons de la langue de Ciceron et fit même partie du petit reste qui lui fut fidèle jusqu'au lycée.

Puis, la vie me conduisit loin de ma Brie natale dans une existence qui donnait peu d'occasions de penser au gaulois et au latin.
Or, voici qu'un jour que je revenais par le chemin des écoliers de quelque pérégrination estivale, je passai à proximité d'Alise-Sainte-Reine, en Bourgogne. Ma curiosité fut tant éveillée par un grand panneau indiquant la présence d'un site archéologique gaulois que je décidai d'y faire halte.
Au hasard de mes vagabondages automobiles, je m'étais retrouvé de façon inopinée sur le site de cette funeste Alesia connue jadis de tous les enfants de France et de Navarre. Comment imaginer dans un paysage vallonné si aimablement bucolique le drame d'hommes assiégés de longs mois dans un camp retranché, affamés, désespérés d'être secourus ? Je considérais avec grande attention les ruines de fondations, les statues et jarres rassemblées dans le petit musée du site. Et bientôt, je vis une grande dalle recouverte de cette inscription :
MARTIALIS DANNOTALI IEVRV VCVETE SOSIN CELICNON ETIC GOBEDBI DVGIIONTIIO VCVETIN IN ALISIIA

Quel étonnement ! Ce n'était pas du latin, manifestement. J'avais donc sous les yeux, pour la première fois de ma vie, un texte rédigé en gaulois. 

D'emblée, rien qu'avec ces quelques mots, il était évident que cette langue n'avait rien d'un dialecte latin. A part la préposition "in", aucun mot n'était intelligible. La distance linguistique que les Gaulois avaient dû franchir pour pouvoir maîtriser le latin avait donc été considérable. La présentation de la romanisation de la France qui m'avait été enseignée à l'école n'était partant plus du tout crédible.

J'entrepris donc d'approfondir la question.
De la défaite de Vercingetorix au milieu du premier siècle avant Jésus-Christ jusqu'à la chute de l'Empire romain, les Gaulois furent donc soumis à Rome pendant cinq siècles.

Or, les noms des différentes tribus gauloises étaient tous bien connus. Elles peuplaient un territoire qui couvrait l'actuelle France, mis à part l'Aquitaine, le Benelux, les deux rives de la Rhénanie, la Forêt noire, la Suisse et le nord de l'Italie. Quand la voix des Gaules s'était-elle éteinte partout sur un si vaste territoire ?
Au quatrième siècle après Jésus-Christ, un poète originaire de Bordeaux, Ausone, ne tait pas que son père parle gaulois, qu'il entend fort mal le latin et préfère communiquer en grec avec les étrangers.
Un peu plus tard, le grand traducteur de la Bible en latin, Jérôme, un insigne linguiste qui possédait l'hébreu et le grec, nous livre un témoignage assuré. Les Galates qui peuplent le centre de l'Asie mineure parlent la même langue que les habitants de Trèves, ville où il avait séjourné.
Plus troublant encore, au cinquième siècle après Jésus-Christ, alors que l'Empire vit ses dernières années, Sidoine Apollinaire, l'évêque de Clermont-Ferrand, se félicite de ce que la noblesse arverne vient d'abandonner l'usage du gaulois pour celui du latin. Autant dire que le commun de l'Auvergnat continuait à parler son idiome ancestral.
Indubitablement, lorsque l'Empire s'écroule sous les assauts d'envahisseurs venus d'outre-Rhin et d'outre-Danube, le gaulois, concurremment avec le latin, est encore parlé aux quatre coins de la Gaule. Ce n'est pas Rome qui l'aura vu disparaître !
Quel genre de langue était ce gaulois qui nous a laissé si peu de documents écrits ? C'était une langue indo-européenne dont le vocabulaire que nous parvenons à identifier atteste de l'origine. "Duxtir", la fille, est plus proche de "Duechter" luxembourgeois que de "filia" latin. "Duron", qui correspondait au latin "forum", signifiait originellement "porte", comme dans toutes les langues germaniques ("Dir" luxembourgeois, "deur" néerlandais, "door" anglais, "dør" danois et norvégien, "dörr" suédois, "Tür" allemand) mais aussi celtiques ("dor" breton, "dôr" gallois) ainsi que, sous une forme plus ou moins altérée, dans les langues slaves et en grec ancien. 


"Immi", je suis, nous rappelle fortement le grec ancien "eimi" plutôt que le latin "sum". 


"Briva", le pont, est proche parent de ses équivalents nordiques "bro".


D'autres mots sont proches du latin, "matir", la mère, que l'on retrouve de toute façon dans la quasi totalité des langues indo-européennes, "epos", le cheval, "rix", le roi.
On a pu trouver une inscription comportant les adjectifs numéraux jusqu'à "dixième" qui restent souvent remarquablement proches de leurs équivalents dans les langues celtiques modernes :
"cintuxos", premier, comme breton "kentañ" et gallois "cyntaf" ;
"alos", second, cf. "eil" et "ail" ;
"tritios", troisième, cf. "trede" et "trydydd" ;
"petuarios", quatrième, cf. "pedervet" et "pedwerydd" ;
"pinpetos", cinquième, cf. "pempvet" et "pumed"
"suexos", sixième, dont sont plus distants "c'hwec'hvet" et ""chweched" ;
"sextametos", septième, où "x" est sans doute un "ach-Laut", cf. "seizhvet" et "seithfed" ;
"oxtumetos", huitième, cf. "eizhvet" et "wythfed" ;
"nametos", neuvième, cf. "navet" et "nawfed" ;
"decametos", dixième, cf. "dekvet" et "degfed".

On aura deviné que le -m- inervocalique du gaulois est devenu -v- (écrit "f" en gallois) dans les langues brittoniques.
Qu'est-ce qui explique que, après s'être maintenu tout au long de la domination romaine, le gaulois ait été définitivement évincé par la latin, et même, désormais, le bas-latin, après la disparition de la structure politique impériale qui fondait sa suprématie ?
Sans doute, alors que déferlaient en Europe occidentale des envahisseurs aussi différents, d'un point de vue ethnique, que les Alamans, les Francs, les Burgondes, les Goths, les Alains, les Huns, le latin offrait plus de possibilité d'intercompréhension que le gaulois.
Mais une telle explication n'est pas suffisante. Il en était déjà ainsi au temps de l'Empire et cela n'avait pas empêché le gaulois de subsister même dans une grande place forte de la présence romaine en Gaule telle que Trèves, Augusta Trevorum.
La plupart des documents rédigés en gaulois vers la fin de l'Empire qui nous soient parvenus ("plomb du Larzac", "plomb de Lezoux") sont des malédictions, des incantations maléfiques ("defixiones"). Ce qui fut probablement fatal au gaulois, c'est plutôt qu'il ne sut pas, à la différence du latin, être le vecteur du Christianisme, qui, à cette époque évinça tous les cultes païens qui lui avait préexisté.
Au contraire, parce qu'il donnait accès aux connaissances occultes des druides et autres mages celtes, le gaulois devint manifestement la langue de référence de la sorcellerie en Gaule. Pour les évangélistes de l'époque, le gaulois avait certainement dû finir par constituer le rempart à abattre du royaume des ténèbres dans le pays. Et c'est sans doute la victoire de l'Eglise qui, elle, survécut à la chute de Rome, qui scella la disparition d'une langue désormais maudite. 

A la lumière de cet arrière-plan, le soulagement de Sidoine Apollinarius, évêque de Clermont-Ferrand, se comprend beaucoup mieux. En abandonnant l'usage du gaulois, la noblesse arverne ne s'ouvrait pas seulement à l'idiome qui véhiculait une monumentale culture littéraire, juridique, historique, scientifique et technique, elle se fermait à l'influence occulte du druidisme honni par les disciples du Christ en Gaule.
C'est sans doute la même chose qui se produisit en Europe orientale et au Moyen-orient. Le grec, porteur de l'Evangile, se retrouva en opposition spirituelle avec des langues qui ne surent pas se convertir à la nouvelle religion et qui finirent par être identifiées à l'obscurantisme polythéiste au point de disparaître avec lui. 

Ce fut sans doute le sort du galate apparenté au gaulois, du lycaonien et du lydien descendants du hittite. 

Mais c'est une autre histoire.

Du genre

Le genre du nord

De nos jours, le genre est devenu l'objet de passionnels débats de société. Mais, le genre, qu'est-ce que c'est au juste ?

Dans mes souvenirs d'écolier, la notion était fondamentalement grammaticale. Il se trouvait que certains substantifs étaient de genre masculin et d'autres de genre féminin. La question n'avait de pertinence que pour déterminer la forme des articles à employer, la manière d'accorder ces substantifs avec des adjectifs ou des participes ou pour les remplacer par le pronom personnel approprié. On nous enseignait ainsi que les objets avaient un genre alors qu'ils n'avaient évidemment pas de sexe. Pourquoi donc le fauteuil était-il de genre masculin et la chaise de genre féminin ? Nous ne pouvions guère que penser "mystère et boule de gomme !" Pour rendre la chose encore plus confuse, il fallait aussi accepter que la cigogne, en qui d'aucuns voyaient alors une sorte de sage-femme volante, était de genre féminin tout en pouvant être un mâle, alors que le cygne altier, de genre masculin, qui couvait sur un îlot du lac Daumesnil, était probablement une femelle.

A peine les notions grammaticales complexes du français étaient elles à peu près mises en place qu'il fallut les confronter à celles d'une première langue étrangère, l'allemand. Pour tout arranger, non seulement la langue du grand voisin avait jugé utile d'avoir un troisième genre mais elle semblait aussi s'ingénier à embrouiller les petits Français. Voici que la chaise changeait de genre pour devenir masculin, tandis que le banc devenait féminin. Et il n'est que de mentionner la cuisine, ce lieu si important pour les Français, pour mesurer combien on se trouvait désorienté. La table avait changé de genre, la cuiller et l'assiette aussi. Le verre et le couteau étaient passés à ce mystérieux genre neutre dont nous n'avions jamais entendu parler auparavant. Il n'y avait que la fourchette pour ne pas nous jouer de tour et je gage que nous lui en étions tous très reconnaissants. Quant à ce qui était servi dès le matin, il y avait bien de quoi perdre l'appétit. Pourquoi diable le lait et le beurre devenaient-ils féminins mais pas le fromage ? Même le pain si cher aux descendants des Gaulois se travestissait en neutre avec l’œuf. En cours d'allemand, nos petits-déjeuners ne comporteraient plus que de la confiture. Pardon ! De la marmelade.

Naturellement, nous nous demandions pourquoi, avec ses trois genres, l'allemand n'avait pas eu l'esprit de ranger tous les mâles dans le genre masculin, toutes les femelles dans le genre féminin et tous les objets dans le genre neutre, dont le français avait, nous semblait-il, la circonstance atténuante de ne pas disposer. Se pouvait-il, peut-être, que les langues aient évolué d'un ordre originel vers un chaos progressif ?

L'étude des langues de l'antiquité allait bientôt l'infirmer. Au début, le latin donnait l'apparence que tous les substantifs finissant en -US au nominatif singulier étaient de genre masculin et ceux finissant en - A de genre féminin. Las! L'heureux paysan était un beatus agricola et le haut orme une alta ulmus. On pouvait seulement nourrir un temps l'illusion que la notion de genre était contenue dans le qualificatif ... jusqu'à ce que l'on découvre la deuxième classe d'adjectifs qui ne distinguait pas dives vir de dives mulier et expliquait en fin de compte pourquoi ma grand-mère faisait ses courses dans la grand-rue. Il fallait se rendre à l'évidence. La notion de genre était sûrement une interprétation tardive de faits linguistiques qui n'étaient à l'origine que des terminaisons, pour jouer avec les mots, neutres du point de vue du genre. La nature en soi indifférenciée du suffixe - TER de mots tels que pater et mater qui auraient dû être cardinaux du point de vue du masculin et du féminin en est une confirmation éclatante.

Le grec ancien non seulement consolidait cette conclusion, notamment avec sa désinence de nominatif singulier en - OS qui pouvait être de n'importe quel des trois genres, mais il illustrait que l'émergence du genre avait eu, à la différence de ce qui s'était passé en latin, un effet perturbateur sur la régularité des déclinaisons, des désinences différentes ayant été développées pour certains cas en fonction du genre et pas pour d'autres. Ce phénomène s'observe aussi, plus marginalement, au datif et à l'instrumental singuliers de certains substantifs en lituanien.

Quant au neutre, les langues anciennes infirment qu'il s'agisse vraiment d'une troisième catégorie à côté du masculin et du féminin. Si l'on prend l'exemple du latin, on devine sans peine que la règle des trois cas semblables provient du fait que, à l'origine, la langue ne concevait pas que certains mots puissent être sujets d'actions ou puissent être invoqués. Ils n'avaient donc ni nominatif, ni vocatif. C'est la raison pour laquelle la plupart n'apparaissaient qu'à l'accusatif et aux cas obliques. Aussi les a-t-on ultérieurement employés au nominatif ou au vocatif avec la forme de l'accusatif (type templum) ou d'un cas oblique (types cornu et mare), lesquelles formes étaient au demeurant identiques à celles des substantifs masculins ou féminins de la même déclinaison.

Dans ces conditions, la plus ancienne langue indo-européenne déchiffrée à ce jour, le hittite, pourrait étayer la thèse que la notion de genre était étrangère à l'indo-européen originel. En effet, le hittite ne distingue pas le masculin du féminin et, comme dans les autres langues indo-européennes anciennes, le neutre ne s'y signale que par la confusion des désinences du nominatif et de l'accusatif, outre l'énigmatique désinence de pluriel en -A qui, en grec, pouvait régir un verbe au singulier.

A quel point le genre grammatical peut s'affranchir du sexe, j'allais le découvrir plus encore à mesure que les autres langues germaniques westiques me devenaient plus familières. Ainsi, le mot désignant l'épouse en anglais, le féminin par excellence, wife, était apparenté à un mot de genre neutre en allemand, das Weib. Et je me souviens bien que ma marraine priait "du bist gebenedeit unter den Weibern". Il n'y a pas si longtemps, ce mot neutre n'était donc pas ressenti comme attentatoire à la féminité. Et alors que je maîtrisais bien le néerlandais dans lequel le pronom "het" désigne les substantifs de genre neutre, je croyais que les Luxembourgeois exprimaient une agressivité et un mépris particuliers  quand ils employaient le mot évidemment cousin "hatt" en parlant d'une femme.

Si la question du genre est ainsi excessivement complexe dans la plupart des langues européennes contemporaines issues de l'indo-européen, il y a, dans le nord, une notable exception.

Le finnois et les langues qui lui sont étroitement apparentées autour du golfe de Finlande, n'accordent en effet aucune espèce de place au genre tant dans leur déclinaison, à la différence des langues indo-européennes, que dans leur conjugaison, à la différence des langues dites afro-asiatiques. A la troisième personne du singulier, le finnois n'a qu'un unique pronom personnel "hän" qui désigne aussi bien un homme qu'une femme, un mâle qu'une femelle. Il est d'ailleurs toujours un peu amusant d’expérimenter comment, même lorsqu'ils possèdent à fond la connaissance de langues européennes, les Finlandais de langue maternelle finnoise peuvent se mettre à mélanger he et she, il et elle, quand ils commencent à être un peu fatigués, ce qui trahit combien faire la distinction ne leur est pas naturel.

Et c'est sous l'influence du finnois qu'est en train de se produire dans une langue géographiquement voisine, quoique non linguistiquement apparentée, une mutation qui n'a probablement pas de précédent dans l'histoire des langues. Le suédois dispose de quatre pronoms personnels pour la troisième personne du singulier: han et hon, den och det. Les deux premiers se rapportent à des personnes et opèrent une distinction de sexe. Han désigne des êtres de sexe masculin et hon des êtres de sexe féminin. Le suédois est cependant une des rares langues indo-européennes où l'être humain, masculin en latin (homo), en grec ou en allemand (der Mensch), est féminin (människa). Les pronoms den et det se rapportent à tout substantif non personnel en distinguant selon son genre grammatical, non neutre ou neutre. En parlant d'un loup, on dira donc den car le mot varg est de genre non neutre mais det en parlant d'un chevreuil car le mot rådjur est de genre neutre.

Eh bien, le suédois contemporain s'est inventé un cinquième pronom personnel de troisième personne, hen. Hen s'emploie vis-à-vis d'une personne que l'on ne veut pas distinguer en fonction de son sexe. Cette innovation est forte dans l'histoire des langues car, si les mots se transforment inexorablement sous l'érosion des changements d'articulation et d'intonation au cours des siècles, il ne s'agit pas là de l'effet de décisions conscientes et collectives des locuteurs. Aussi bien, certains mots tombent en désuétude et sont remplacés par d'autres mais, dans le cas de hen, il s'agit d'une mutation volontaire d'un élément de la structure grammaticale de la langue, un peu comme si l'on décidait aujourd'hui de dire oul en français pour ne plus avoir à choisir entre il ou elle.

C'est dans ce contexte sans précédent que paraît la biographie véridique et fascinante de Therese Andreas Bruce (En sällsam historia från 1800-talet, Inger Littberger, Makadam förlag ISBN 978-91-7061-133-9).

Therese Andreas naquit le 28 décembre 1808 en Suède d'une noble famille en partie d'ascendance écossaise. Huitième enfant d'une grande fratrie, elle connut d'abord une enfance spartiate dans la maison de parents qui appartenaient encore à la fine société de l'époque mais auxquels un revers de fortune fit connaître le sort amer des aristocrates désargentés.

Cela n'est cependant que l'arrière plan de la vie de Therese Andreas qu'elle raconte elle même dans une langue sans artifice de style quoique pour nous un peu archaïsante. Ce qui est si singulier, c'est le désir fort de celle qui reçut à la naissance les prénoms de Christina Therese Isabelle Jeanette Louise d'affirmer une identité virile d'homme dans un corps qui avait les apparences de celui de la femme. "Si on ne me laisse pas mettre des pantalons, je ne peux pas vivre (p. 83)". Cette phrase forte résume la vie hors du commun de cette Suédoise, qui rappelle Lady Oscar du film de Jacques Demy ou, à l'inverse, le Chevalier d'Eon du siècle précédent.

Le chirurgien Hagströmer qui l'avait examinée le 14 octobre 1826 avait conclu: "La fille de M. Adam Bruce, Christine Therese Isabelle Jeanette Louise est âgée maintenant de 16 ans et j'ai constaté qu'elle est à un haut degré hermaphrodite ou bisexuée, ne possédant toutefois pas les composants complets de l'un des deux sexes quoique les éléments correspondraient de plus près à ceux du sexe masculin". Dès lors, Therese devient Ferdinand Andreas Eduard.


Dans des conditions qui ne sont pas bien élucidées mais qui ont probablement été aussi violentes que non désirées, Andreas, auquel on ne connaît que des attirances pour la gent féminine, devient enceint d'une petite fille qui naît en juillet 1838, Emma Elisabet Carolina. Plusieurs des lettres qu'il écrivit à "sa Lina tendrement aimée" sont publiées à la fin du livre.

Andreas vivra une longue vie de dénuement à l'écart sur la grande île de Gotland, au milieu de la mer Baltique, où il mourut d'une pneumonie le 27 janvier 1885 à 77 ans.

Les écrits de Therese Andreas sourdent de la plume d'une âme attachante, sensible et généreuse, profondément pieuse et mystique (p. 85). C'est avec beaucoup de souffrance qu'il vit la confusion d'une vie qui le rend à la fois fille et fils, sœur et frère, mais ni vraiment mère, ni vraiment père.

 Therese Andreas, née femme et mort homme, aurait probablement vécu un quotidien moins lourd si sa langue maternelle avait déjà connu le pronom hen.

PS: La longue introduction remarquablement documentée du livre fait état d'un roman de Frida Stéenhoff publié en 1911, "Ett sällsamt öde" qui pourrait avoir été inspiré de la vie de Therese Andreas. Le personnage principal, Mikael Ignace, amoureux d'Ethel Fairchild, est aussi une âme d'homme dans un corps de femme. Ethel, qui en est fort éprise, tombe gravement malade, quand elle découvre la vérité. Leur séparation prend la forme d'un dialogue très troublant qui esquisse combien, dans de tels cas, les raisons de l'âme peuvent ne pas être celles du corps:

"- Mon coeur est si ardemment chaleureux et sensible, [dit Mikael]. Mais il ne m'écherra jamais de part de bonheur. Les baisers que nous échangeâmes en fiancés sont les seules caresses qui auront adouci ma solitude lorsque je trépasserai. Je t'en remercie, Ethel ! Il n'y a pour toi point de vergogne. Tu ne savais pas alors l'être repoussant et maudit que je suis. Mais je suis pourtant si pur et innocent. De tels propos paraissent sans doute singuliers dans ma bouche mais la vérité est que je suis aussi inexpérimenté qu'un nouveau né. Je ne sais rien de ce que je désire ; je ne comprends pas ce que je veux ; je ne me comprends point moi-même. Tout m'est énigme. Je suis comme un esclave aveugle qu'un fouet jette en avant sur un chemin qu'il ne connaît point. Maintenant, tu sais quel genre d'être je suis. Peux-tu avoir une étincelle de compassion et me pardonner ?

-  Je te pardonne, dit Ether amicalement. Mais ma compassion ne se muera jamais, jamais en tendresse, ajouta-t-elle doucement.

- Je ne le désire point. Ton pardon est plus que je n'osasse espérer.

- Je trouvais que tu avais un caractère d'or pur et, d'une certaine façon, je le trouve toujours, ajouta Ethel avec gratitude. Comment as-tu pu agir comme tu l'as fait ? Cela m'est incompréhensible. Cela ne s'accommode point de tes autres qualités. A moi aussi tu es une énigme.

- Je ne comprends point moi-même comment je fais pour persister dans cette constante duperie. Mais l'épouvante d'être découvert quelque jour - et c'est bien épouvante que j'en ai - ne peut cependant point faire que je me dépouille de mes vêtements d'homme.

- C'est par habitude que tu y es à ce point lié. D'ailleurs, tu les portes d'une façon qui fait parfaitement illusion. Lorsque je te vois parmi d'autres hommes, avec ton allure virile, moi-même je ne puis point déceler qu'il y ait le moindre artifice en toi".