fredag 15. november 2019

Tout est famille


Mon propos pourra sembler décousu mais tout tourne autour de la famille.

Mon intérêt pour les langues est si parallèle à la généalogie que je ne me souviens plus lequel a paru le premier. J’ai été enfant à une époque où le ressentiment contre les Allemands, et même la franche haine, étaient partout, dans les films qui passaient à la télévision comme dans les conversations du troquet de la gare. Or, le père de mon arrière-grand-mère luxembourgeoise était né à une bonne trentaine de kilomètres en aval de Trèves. Aux abords de Noël, ma grand-mère mettait sur l’électrophone un 33 tours de chants traditionnels allemands. Je ne pouvais ignorer qu’une partie de la vie qui coulait en moi était venue de rigoles allemandes. Je prenais avidement des notes quand ma marraine, la sœur de mon arrière-grand-mère, se laissait aller à parler de son enfance et de sa jeunesse entre Luxembourg, Nancy et Trèves, s’affranchissant des frontières bien avant l’Union européenne. Si l’allemand fut, évidemment, la première langue « étrangère » que j’appris au collège, c’est de ma marraine, puis de parents du Gutland, que j’appris le luxembourgeois, à une époque où il n’y avait presque rien qui le facilitât.

Je n’avais par contre pas connu mon arrière-grand-père mais je savais qu’il avait eu le breton pour langue maternelle, une langue alors fort méprisée. Il me suffit de repenser aux chansons comiques de l’époque, de « ils ont des chapeaux ronds » au groupe comique « Les Charlots ». Je me mis au breton plus tard. C’était plus difficile que le luxembourgeois en l’absence d’un environnement vivant de cette langue.

Mais la découverte progressive de convergences entre les trois langues, malgré leur grande dissemblance au premier abord, incarna l’unité de l’Europe, l’unité des miens et, au final, la mienne. Le sang et la haine, la morgue et l’arrogance, scandaleux en soi, le devenaient plus encore quand se dévoilait la parenté profonde, multimillénaire, de tous ces idiomes. La généalogie des hommes, la généalogie des langues, c’est tout un.

Uxor. Voilà bien un mot que j’avais eu le plus grand mal à retenir au collège. Mais quand j’appris qu’il devait se decomposer en UK + SOR, c’est à dire la racine de mots tels que joindre, joug ou yoga, quel horizon s’ouvrit à moi et que j’aime à penser que mon épouse est une sœur que je me suis joint !

Les autres sont mes sorores, sans doute SUO + SOR. Suo est peut-être le réfléchi, la propre sœur par opposition à la sœur conjointe en mariage. Le fils est (Η)YΙΟΣ en grec ancien. Vu l’histoire phonétique de la langue, sans doute issu de suios, peut-être swios. Y aurait-il aussi le réfléchi à la racine, le sien comme on dit les miens de ses parents ? Serait-ce sous-jacent dans le sunus lituanien, universellement retrouvé sous une forme amuïe en slave et en germanique ?

Il est vain de nier que la plupart des langues parlées aujourd’hui en Europe procèdent d’un idiome originel à partir duquel elles ont divergé, non sans se colorer ici ou là d’autres langues rencontrées en chemin. Mais la langue mère, forcément, a été elle aussi une langue fille ayant sans doute des langues sœurs, des langues cousines. Il y a eu une grand-mère et une arrière-grand-mère et …

Mais c’est vertigineusement loin de nous et, de même que la plupart d’entre nous ne peuvent pas identifier nominativement leurs (extrêmement nombreux) ancêtres ayant vécu au Xème siècle, nous n’osons même pas avancer des conjectures.

Ce que nous percevons comme des désinences, des systèmes flexionnels élaborés, se révélerait peut-être bien comme des postpositions voire des mots autonomes. La complexité ultérieure apparaîtrait comme le brouillage d’un système plus simple dont les éléments n’avaient plus été compris.

Je suis décontenancé quand je lis certaines contributions de linguistes. J’ai l’impression que beaucoup abordent la phonétique des langues comme si elle pouvait se réduire systématiquement à des équations, à l’imitation de la chimie et de la physique. Je crois plutôt que c’est l’analogie qui, progressivement et inégalement, a raison des singularités.

Père se dit AB en arabe et en hébreu antique. ABBA hébreu correspond à papa. Les Berbères disent BABA ou VAVA. Est-ce une simple coïncidence que le terme enfantin indo-européen le plus répandu soit aussi constitué d’une occlusive labiale ?

Je pourrais bien imaginer que l’on est en présence d’un reste de langue aïeule. Quand la branche qui allait devenir l’indo-européen a accouché d’un système flexionnel, elle a eu besoin d’ajouter au PA / BA quasi universel un élément qui lui permettait d’accrocher des désinences. Pour communiquer avec le bébé, papa suffisait. Mais, avec les adultes, il fallait pouvoir nuancer des accusatifs, des génitifs ou des ablatifs. En revanche, le mot était et reste l’un des premiers que l’on apprend à un bébé et, évidemment, on se limite à une occlusive et une voyelle. Je veux dire par là que les alternances que l’on observe par exemple en grec ancien entre le nominatif, le vocatif et le génitif résultent de l’analogie. Mais il n’y a certainement jamais eu de laryngale à la finale de la racine. Quel père et quelle mère apprennent à parler sur cette terre à leur bébé en commençant avec les laryngales ?!!

La même réflexion vaut pour mater / matir. On a la sonante nasale que l’on retrouve en arabe, en hébreu et en berbère ainsi que chez la mama des Européens. Le suffixe a été ajouté ultérieurement pour intégrer le mot du vocabulaire primitif au système élaboré de déclinaison.

Et le frère ? Il est bien possible que le mot ait pour racine celle qui signifie « porter » dans les langues indo-européennes, le frère étant alors perçu comme celui qui a été porté par la même mère. Il pourrait avoir reçu le même suffixe que celui du père et de la mère du fait que celui-ci avait été senti de ce fait comme caractérisant les relations familiales.

Il est passé aussi à la fille, peut-être à partir de la racine signifiant conduire, puis éduquer.

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