Bien des linguistes et des philologues résistent mal à une fascination pour les sciences exactes qui les conduit à voir dans certaines constantes qui s'observent dans l'évolution de langues et de groupes de langues des lois comparables à celles de la physique.
Il m'est arrivé souvent de lire des articles ou des évolutions phonétiques étaient abordées comme s'il s'agissait d'équations mathématiques.
Je suis d'ailleurs surpris de certaines "reconstructions" de mots indo-européens qui aboutissent à des chaînes de sons imprononçables. Il est curieux que tant de linguistes perdent de vue qu'il est bien improbable qu'il ait jamais existé langues aussi difficiles à articuler que celles qu'ils croient ainsi "reconstruire".
Quoi qu'il en soit, il est vrai que, au sein des langues indo-européennes, le celtique a une nette tendance à "perdre" le son "P" dans les mots indo-européens qui le comportaient probablement.
C'est ainsi que le mot irlandais "athair" nous devient plus familier si on lui restitue un "P" initial, "pathair*" qui montre sa parenté avec le "pater" latin, le père.
De même "iasc", le poisson, si l'on suppose un "piasc*" qui rappelle davantage le "piscis" latin.
Toutefois, le celtique continental est riche en "P" parce qu'il a très souvent substitué ce son à un "Qw" originel. C'est ainsi que le "pemp" du breton n'est pas si différent du "quinque" latin.
Mais, encore une fois, il faut résister à la tentation de croire que des "lois" phonétiques s'appliqueraient absolument à l'intérieur de groupes de langues. Le langage humain et l'humain tout court sont beaucoup trop complexes pour qu'il en soit ainsi.
Et c'est ce à quoi devrait nous inviter le nom des "Sequanes". Pour les linguistes qui s'aheurtent à croire en des lois phonétiques absolues, il est clair que les "Sequanes" auraient dû s'appeler "Sepanes", en conformité avec les évolutions phonétiques qui s'observent en celtique continental.
Or, les Sequanes vivaient au milieu de la Gaule celtique et non pas à sa périphérie.
Il est impossible de trancher sur ce qui peut expliquer la subsistance d'un son "Qw" à date historique dans le nom d'une tribu dont rien n'indique qu'elle fût allophone des tribus qui l'entouraient.
Je relève juste que, si le latin conserva ce son "Qw", pratiquement toutes les langues italiques qui nous sont (très partiellement) connues, l'avaient remplacé par un "P", exactement comme ce que nous observons dans les inscriptions gauloises qui nous sont parvenues.
Au "quae" du latin correspond "pai" en osque. On croit lire "pettiur" dans une inscription osque où il paraît correspondre au "quatuor" latin, quatre. En ombrien, "puntes" est compris comme "un groupe de cinq", à rapprocher du "quinque" latin.
Si, en Italie, avait pu subsister, initialement au milieu de la petite plaine du Latium, la langue d'une cité conservant l'antique son "Qw", alors qu'il était vraisemblablement devenu "P" partout ailleurs, l'explication la plus simple est qu'il en allait de même des Sequanes au milieu d'autres tribus celtiques, d'autant plus qu'ils vivaient non pas en plaine mais dans des régions du Jura et de l'est de la France actuelle plus propices à un relatif isolement linguistique.